152.
Les pneus crissent sur l’asphalte. Ils roulent sur le périphérique. Charles de Vézelay respire fort, l’odeur de sa transpiration remplit l’habitacle.
— Comment nous avez-vous retrouvés ? demande Kim.
— Votre montre fait GPS et elle est branchée sur Probabilis. Le signal avait disparu…
Normal dans la cave en sous-sol, les ondes ne passaient plus…
— … mais il est revenu, alors j’ai pu vous localiser.
— Pourquoi voulez-vous nous aider ? demande Cassandre.
L’homme a une moue qui se transforme en sourire las.
— Nous avons tous une tache à nettoyer, dit-il, fataliste.
Soudain il se met à pleuvoir très fort. Les essuie-glaces se déclenchent et brassent l’eau qui se déverse à flots sur le pare-brise.
— Je vous l’ai dit, je me suis passionné pour la civilisation des Mayas. Avec un groupe de gens dont faisaient partie votre père, puis votre frère, nous avons voulu nous mettre d’accord pour concevoir nos chansons mayas. Nous avons donc, en nous inspirant de l’observation des constellations, établi « leur futur obligatoire » pour dix personnes ayant accepté de servir de cobayes. Tous avaient pour devoir de s’y tenir. Notre idée était d’établir ensuite, si cela fonctionnait, un futur obligatoire écrit pour cent, puis mille personnes. Plus nous arrivions à mettre de personnes d’accord pour respecter le scénario pré-écrit de leur vie, plus il y avait de chances que cela marche. Ainsi, l’imprévu disparaissait progressivement. C’était mon projet.
— Subtil. Jusqu’à arriver à 6,7 milliards de scénarios de destins obligatoires, et plus du tout d’imprévu, ironise Kim.
— Exactement, avec écrit par avance pour chaque personne ses réussites, ses échecs, ses accidents, ses mariages, ses enfants, ses divorces. C’était une manière de dompter de façon radicale l’avenir. L’astrologie portée à son sommet.
— Ça a marché ? demande Kim.
La pluie redouble. Autour d’eux, les voitures ralentissent et leurs pneus font voler des gerbes d’eau.
— Sur les dix, sont survenus un suicide et deux dépressions. Le fait de les bloquer sur un rail de futur, sans possibilité de changer de voie, les a gravement perturbés. Je n’avais pas prévu cette réaction.
Une moto les double en klaxonnant.
— Même maintenant, quand je dresse mes horoscopes pour les journaux, je prévois l’influence que cela pourra avoir sur les personnes trop sensibles.
Des ruisselets de pluie opacifient le pare-brise.
— Où va-t-on ? demande Cassandre.
— C’est la bonne question, répond Charles de Vézelay en hochant mélancoliquement la tête. Vous avez lu le message : votre frère vous attend. C’est ce que vous souhaitiez depuis le début, n’est-ce pas ? Le rencontrer ? Donc nous allons le rejoindre.
Daniel m’attend.
Cassandre baisse les yeux et scrute son bracelet-montre qui indique « Probabilité de mourir dans les 5 secondes : 68 %. »
— Stop ! hurle sans réfléchir la jeune fille.
Sa voix emplit l’habitacle. Instantanément, Charles de Vézelay donne un grand coup de frein qui arrête net la voiture au milieu du périphérique. Mais derrière eux, le gros camion transportant des veaux n’a pas prévu cette manœuvre subite. Il n’a pas le temps de changer de trajectoire, ses pneus ne trouvent aucune adhérence sur la route mouillée. Il percute violemment l’arrière gauche de leur Twingo. La voiture est soulevée, projetée sur le côté droit. Elle heurte la rambarde de sécurité, tournoie follement, se renverse sur le côté et, lancée comme une pierre, exécute une série de tonneaux pour finalement s’encastrer dans un platane âgé de cent cinquante ans.